Fortement impacté par la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, le sport est sorti sonné de la période de confinement. Désormais, place à une réaction qui s’avère nécessaire.

Durant deux mois, le monde du sport a appuyé sur pause. Événements annulés, sportifs confinés et avenir incertain : « il y aura forcément un avant et un après cette crise », assure Jean-Luc Sadik, président de Transfert Performance Sportive Conseil, à l’écoute de tous les acteurs depuis le début de cette crise. « Nous avons tous été marqués par ce que nous avons vécu et par cette mise en pause de l’économie collective. Cette crise a mis à mal le sport professionnel et le sport amateur. Au début du mois de mai, le ministère des Sports a chiffré à 20 milliards d’euros le montant de la perte pour le sport français dans son ensemble. C’est un chiffre conséquent. En moyenne, les clubs ont perdu environ 25% de leur chiffre d’affaires pour l’exercice 2019-2020. Il y a forcément une appréhension quant à la façon dont les sponsors vont réagir aux conséquences de cette crise dans la durée. Les clubs pourraient aussi être menacés par de possibles demandes de remboursement des cotisations de certains de leurs membres au prorata de la période où ces derniers n’ont pas été en mesure de pratiquer leur activité sportive. Les bénévoles, pour 30% d’entre eux, se situent dans la tranche d’âge la plus impactée par le coronavirus. Chez beaucoup de bénévoles se pose la question du niveau de leur engagement. Tout cela fait qu’il y a énormément d’inquiétude en vue de la saison 2020-2021. » De l’inquiétude… et une dose d’espoir, cette crise ayant également suscité des réactions positives. « Les fédérations ont essayé d’apporter des réponses nombreuses en matière d’information et d’écoute. Aspect extrêmement positif, l’alignement des mesures gouvernementales aux clubs, comme le chômage partiel et l’allègement de charges sociales par exemple. Toutes les régions se sont mobilisées concernant les fonds de solidarité, avec des enveloppes le plus souvent situées entre 3 et 5M€ selon les régions, le sport étant inclus dans un fonds de soutien général aux associations. Certaines fédérations ont également été capables de mettre en place des fonds de solidarité, permettant ainsi d’envoyer des signaux positifs », se réjouit Jean-Luc Sadik.

« Un plan de relance doit organiser la montée en responsabilité des fédérations »

Le sport doit donc se réinventer. Mais avec quels moyens ? France Urbaine, association qui représente 2000 communes de toutes tailles et dont la commission Sport est présidée par Joël Bruneau, maire de Caen, et Roselyne Bienvenu, adjointe au maire d’Angers, assure qu’un « plan de compensation pour assurer la survie des clubs professionnels doit être instauré, en minimisant, autant que faire se peut, le concours financier des collectivités territoriales. À l’égale mesure du sport professionnel, le sport amateur doit également bénéficier d’une pleine et entière préoccupation ». Pour Jean-Luc Sadik, « si ce plan de relance est une simple demande de moyens financiers supplémentaires pour surmonter cette crise, ça ne tiendra pas sur le long terme. Si un plan de relance doit exister, et je pense qu’il faut que ce soit le cas, car la période de crise me semble loin d’être terminée, de nouvelles secousses sont à craindre et il faut pouvoir aider les acteurs à faire face aux situations les plus difficiles, il doit avoir une finalité plus large. L’idée d’un plan de relance peut être un marqueur pour montrer que le sport peut se prendre en charge et faire bouger la place qui est la sienne dans notre société. Je pense qu’un plan de relance doit organiser la montée en responsabilité des fédérations. » Certaines fédérations n’ont d’ailleurs pas tardé à se prendre en main durant cette crise. La Fédération Française de Voile a ainsi mis en place une campagne de solidarité destinée à ses clubs et s’est engagée en faveur d’une reprise rapide de la course au large. « Il est urgent que nos marins puissent retourner travailler comme les pêcheurs ont le droit de reprendre la mer. La course au large, ce sont des skippers, mais aussi tout un écosystème économique qui est à l’arrêt depuis presque deux mois et il faut le relancer de toute urgence pour que celui-ci ne disparaisse pas », explique Corinne Migraine, vice-présidente de la Fédération Française de Voile.

« Cette crise modifiera durablement les comportements »

Les fédérations entrent désormais dans un nouveau monde riche en inconnues. « Il faut que les fédérations puissent trouver de nouvelles sources de revenus, mais aussi cerner les attentes du public. Est-ce que les pratiquants veulent de la santé ? Du loisir ? De la compétition ? Du lien social ? Comment répondre à tout cela ? Ce sont ces questions-là qu’il faut que l’on se pose », confie Jean-Luc Sadik. Autant d’incertitudes qui agitent de très nombreux sports, à l’image du rugby. « Le monde du rugby a traversé cette crise un peu comme tout le monde, c’est-à-dire dans la difficulté », analyse Pierre Berbizier, ancien sélectionneur du XV de France. « Cette crise a montré qu’il y avait beaucoup de solidarité dans de nombreux secteurs. Or dans le rugby, elle a surtout mis le doigt sur les différences et les divergences. Les dimensions sociales et humaines ont permis de traverser cette crise, et lorsque je le rapporte au rugby, j’aurais aimé que le curseur se déplace moins sur l’économie et un peu plus vers l’humain et le social, qui sont les valeurs de notre sport. »Avec une Coupe du monde organisée en France en 2023 en ligne de mire, le rugby est donc à la croisée des chemins. « Cette crise modifiera durablement les comportements sur des thèmes comme la santé, l’éducation sportive ou encore le développement durable. Une remise en question est donc nécessaire, le rugby ne peut y échapper. Il doit renouveler sa proposition à destination du public et formuler un projet collectif à moyen et long terme. »

« Profiter de cette période pour penser les nouveaux modèles qui vont émerger »

Jean-Luc Sadik confirme : « les entreprises et fédérations devront comprendre les nouvelles attentes qui vont émerger. Cette prise de conscience est nécessaire afin de préparer au mieux l’après. » Un après dont un aperçu a émergé durant la période de confinement. « De nouveaux formats d’événements ont vu le jour durant cette période. Ils correspondent à une demande plurielle, en prise avec les nouveaux outils technologiques. Là aussi, les fédérations ne doivent pas manquer le coche et s’emparer de façon plus stratégique et plus large de ce sujet digital. Une chose est sûre, cette crise va nécessiter d’avoir des présidents de fédération à la hauteur des enjeux qui se présentent. Les fédérations ne pourront pas faire autrement que de miser sur des thématiques fortes, à l’image du sport santé. Pour une fédération, ne pas intégrer davantage cette dimension relèverait de la faute. C’est un axe qui influe sur l’enjeu sociétal de la pratique sportive, mais aussi sur la place du sport en termes d’éducation. Avec cette crise, nous basculons dans l’ère de l’utile, du durable, de l’agilité, du frugal et de la raison d’être qui invite le monde du sport à se recentrer et à s’inscrire dans le temps long. » Le sport français arrive ainsi à un nouveau tournant de son histoire. Face à l’évolution des comportements et des enjeux, il ne va pas devoir rater le coche. Le président de TPS Conseil demeure, de son côté, lucide mais confiant quant à l’avenir. « Il faut profiter de cette période pour penser les nouveaux modèles qui vont émerger, les nouvelles relations, la nouvelle façon de travailler dans les fédérations, la manière de mieux être à l’écoute du local, d’intégrer davantage et de façon positive les enjeux environnementaux, de mieux penser le lien social et les solidarités entre le monde professionnel et amateur, de voir comment les entreprises peuvent revisiter, comme avec l’économie sociale et solidaire, leurs liens avec le sport… Ce sont autant d’enjeux qui vont animer le monde du sport dans les mois et même les années à venir. La situation est difficile mais des pistes existent. Il faut les saisir en dépassant les conservatismes du passé et en réaffirmant l’enjeu du sens ! »

TPS Conseil, 31 ans auprès du monde du sport

  Depuis 1989, Transfert Performance Sportive Conseil intervient auprès des dirigeants et des organisations du monde du sport, des entreprises et des territoires en leur faisant bénéficier de son expertise du conseil en stratégie et en management pour les accompagner dans leur développement. Son président, Jean-Luc Sadik, en charge d’un cours sur les « Nouveaux business models du sport » à HEC Paris, pilote également « le Club Sport & Management » think tank, rassemblant experts et dirigeants, qui scrute les tendances et analyse les évolutions du secteur du sport depuis 2012. Il est un des mentors de premier incubateur sportif européen Le Tremplin, où il accompagne les start-ups qui préparent le sport de demain. Il a également créé et organise depuis 2013 les Trophées Sport & Management, remis à l’Assemblée nationale. « Ils permettent de donner une véritable photo de la place qu’occupe le sport aujourd’hui dans notre société et la richesse des initiatives portées par les acteurs de terrain (plus de 700 projets retenus et évalués à l’issue des appels à projets depuis leur création) », assure Jean-Luc Sadik. Ces trophées récompensent des projets et des acteurs de terrain qui innovent en mettant le sport au service de la performance sociale, pédagogique, digitale, économique ou stratégique, ou d’un projet personnel professionnel structurant.

Par Olivier Navarranne