Roger Bambuck à l’occasion des Trophées Sport & Management 2014.
Roger Bambuck aux côtés de Jean-Luc Sadik en tant que parrain historique des Trophées Sport & Management.
- 1945 Naissance le 22 novembre à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).
- 1964 Participe à ses premiers Jeux olympiques, à Tokyo.
- 1966 A Budapest, il est sacré champion d’Europe du 200 m et avec le relais 4 × 100 m, et obtient l’argent au 100 m.
- 1968 Le 20 juin, aux Etats-Unis, il devient codétenteur du record du monde du 100 m pendant quelques dizaines de minutes. Membre du relais 4 × 100 m, il remporte le bronze aux Jeux de Mexico, le 20 octobre, et est finaliste du 100 m et du 200 m. Cette même année, il met un terme à sa carrière de sportif de haut niveau.
- 1988 Nommé secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports.
- 2016 Retraité, il vit désormais installé dans sa maison de Saint-Amand-de-Coly (Dordogne).
Quand on lui demande si, à 70 ans, il fait toujours du sport, Roger Bambuck livre une réponse surprenante. « Je pousse ma brouette. D’ailleurs, ce matin, avant que vous n’arriviez, j’ai préparé un tas de bois à brûler. Ça fait de l’activité physique, vous savez. Ici, il y a du boulot, rassurez-vous. » Vu son pas alerte dans le salon de sa maison située dans la commune de Saint-Amand-de-Coly, au cœur de la Dordogne, pas d’inquiétude à avoir quant à la forme de l’ancien athlète. Roger Bambuck ne tient pas longtemps en place dans son fauteuil, au coin du feu qui crépite dans l’immense cheminée.
L’ancien sprinteur, médaillé de bronze avec le relais français du 4 × 100 mètres aux Jeux olympiques de Mexico, en 1968, ne néglige pas l’importance de l’entretien physique. Mais pas de n’importe quelle manière. « Je suis content de voir que les médecins parlent de plus en plus d’activité physique, qui est 100 % positive pour la santé, l’équilibre mental et social. Alors que le sport de haut niveau, je n’hésite pas à le dire, est une activité dangereuse à tout point de vue. » Et celui qui fut secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports sous le gouvernement Rocard, entre 1988 et 1991, ajoute : « On peut faire du sport sans compétition, voilà ma conviction. » Il regrette que cette vision ne soit pas partagée par de nombreux dirigeants sportifs.
Voilà bien longtemps que Roger Bambuck a arrêté la compétition de haut niveau, au lendemain des Jeux de Mexico. Il n’avait même pas 23 ans. « A l’époque, la société ne comprenait pas qu’un être humain, à 25 ans, n’ait pas encore fondé son foyer. A cet âge-là, une jeune fille pas encore mariée, c’était une vieille fille, on fêtait les catherinettes. Il fallait passer aux choses sérieuses. Le sport n’en était pas une. » Sérieux, le jeune Bambuck décida donc de se consacrer pleinement à ses études de médecine. Il ne les valida jamais. « Je ne suis pas sûr que j’avais la vocation. »
« Le sport n’est pas dans une bulle »
Le sport, un passe-temps futile ? Ce type de remarque a le don de l’agacer. « On ne reconnaît toujours pas l’intelligence des champions sportifs. Les gens les prennent toujours pour des tarés. » Lui estime qu’« on ne peut pas être un champion international sans être intelligent ». « Tout ce qui guide mon parcours, c’est l’idée que le sport n’est pas dans une bulle, résume-t-il. Il fait partie intégrante de la société. »
Aux Jeux de Mexico, en 1968, le Français se rappelle le « coup de tonnerre » provoqué par Tommie Smith et John Carlos. Sur le podium du 200 mètres, les deux Américains lèvent un poing ganté et baissent la tête. Un signe de protestation contre les discriminations dont sont victimes les Noirs aux Etats-Unis. Un coup d’audace, aussi, qui ne récolte pas que des félicitations parmi les sportifs. « Tout de suite, dans la délégation française, j’ai entendu dire : “On ne fait pas de politique !” » Roger Bambuck est « surpris et choqué de la réaction de certains athlètes » qui « ne voyaient pas qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire ». Lui a déjà compris que le geste entrerait dans l’Histoire, dépassant le simple cadre du sport. « Les Américains ont souligné le fait que, sur le terrain, on les reconnaissait comme les meilleurs, mais une fois franchies les portes du stade, ils retombaient au niveau de ce qu’ils étaient, des Noirs, des fils d’ouvriers sortant de quartiers pauvres. » Les sprinteurs sortent de leur bulle, et c’est peu dire que Roger Bambuck apprécie.
En 1968, « année de contestation », la finale masculine du 100 mètres est entièrement constituée de coureurs noirs, comme le soulignent les envoyés spéciaux de l’époque. Bambuck en fait partie. Il termine cinquième, comme lors de la finale du 200 mètres, pour laquelle il s’est aussi qualifié. Une jolie performance pour lui qui avait dû surmonter, dès son arrivée en Amérique centrale, « une belle angine, la fièvre et tout le bazar ». Avec le relais tricolore du 4 × 100 mètres, il obtient le bronze, derrière les Etats-Unis et Cuba. A deux dixièmes seulement des Américains et de leur nouveau record du monde.
« Inscrit sur les tablettes »
Des quatre compagnons de relais, Gérard Fenouil, Jocelyn Delecour, Claude Piquemal et lui, Bambuck est assurément le plus rapide. En France, le jeune homme court plus vite que tout le monde. Entre 1966 et 1968, il collectionne une dizaine de records nationaux sur 100 mètres – le dernier tiendra jusqu’en 1986 – et empile les titres de champion de France. Une domination qui s’étend au continent. Lors des championnats d’Europe de Budapest, en 1966, il empoche l’or au 200 mètres et au relais 4 × 100 mètres, et l’argent sur la ligne droite.
Il serait peut-être exagéré de dire qu’il domine alors la scène mondiale. Mais il serait tout aussi injuste de ne pas mentionner qu’il fut l’un des codétenteurs du record du monde du 100 mètres, en 1968. Le 20 juin, lors des championnats des Etats-Unis à Sacramento, auxquels il a pu participer, il court en 10 secondes, chrono manuel. Personne n’a fait mieux à l’époque, et Bambuck égale, entre autres, le sprinteur allemand Armin Hary, dont il avait un poster dans sa chambre d’adolescent. Mais, de ce 20 juin, l’histoire retiendra surtout les 9 s 9 de l’Américain Jim Hines, quelques dizaines de minutes plus tard, premier homme à descendre sous la barre symbolique des 10 secondes. Pas de quoi gâcher la joie du Français. « L’essentiel, c’est d’être inscrit sur les tablettes ! », se marre-t-il. Il reste le seul Français à figurer sur la prestigieuse liste des hommes les plus rapides sur la ligne droite.
Le sprint, Bambuck l’a pourtant découvert sur le tard. Gamin, il joue au basket en Guadeloupe. Mais au lycée, lors d’une épreuve de 60 mètres, ses qualités sont remarquées. L’athlétisme lui permet de faire son premier voyage en Martinique hors de « [son] île ». Par la suite, il en visitera d’autres, bien plus lointaines, notamment lors des Jeux de Tokyo, en 1964, où il partage une chambre avec la star française de l’époque, Michel Jazy, qui le fera venir au Club athlétique de Montreuil.
Si le jeune homme met rapidement un terme à sa carrière sportive et tente de s’orienter vers la médecine, la transition n’est pas évidente. Dans les années 1970, il essaie même un temps de revenir au sprint. Sans succès. Il rebondit, trouve du travail dans une « filiale ingénierie de Renault ». Se marie, en 1974, avec Ghislaine Barnay, championne de saut en hauteur, qui partage toujours sa vie. Au milieu des années 1980, le maire d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) lui demande de prendre la direction du service des sports de la ville. Roger Bambuck accepte : « La chose politique m’a toujours intéressé. » L’ancien athlète, qui avait failli, adolescent en Guadeloupe, prendre sa carte au Parti communiste, participe aux Clubs convaincre, ces think tanks – comme on ne les appelait pas encore – rocardiens. « Les partis politiques n’ont pas une réflexion spécifique sur le sport, observe Bambuck. Ils veulent bien se servir du sport, mais à quoi sert le sport dans la société qu’ils veulent construire ? »
Lutte contre le dopage
Secrétaire d’Etat à la jeunesse et aux sports de 1988 à 1991, il met en place la première loi de prévention et de lutte contre le dopage, s’occupe de l’aménagement des rythmes de vie des enfants – « très différents des rythmes scolaires », insiste-t-il. A propos de son bilan dans le gouvernement Rocard, Roger Bambuck tient aussi à souligner la mise en place du dispositif « profession sport », qui avait pour objectif d’aider les clubs à bénéficier d’employés sportifs compétents et bénéficiant d’un statut reconnu. Par la suite inspecteur général de l’éducation nationale, il a également dirigé, en fin de carrière, un groupe de recherche sur le sport au CNRS.
Depuis quelques années, le retraité s’est installé à plein-temps à Saint-Amand-de-Coly, dans une maison qu’il a rénovée de fond en comble au cours des trois dernières décennies. Il y accueille régulièrement ses petits-enfants. Près de la cheminée, un livre est posé à côté d’un exemplaire du Canard enchaîné : Plaidoyer pour un monde métis, d’Alexis Nouss (Textuel, 2005). Chaque année, Roger Bambuck participe aux Foulées littéraires, sorte de festival de la littérature sportive. Avec le plaisir affiché de faire sortir, une fois de plus, le sport de sa « bulle ».
En contrebas du salon, où est affichée une immense reproduction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il a fait construire une piscine. Il la voulait longue de 12,50 mètres pour que l’aller-retour fasse 25 mètres, la moitié de la distance olympique. Elle mesure finalement 13 mètres. Personne ne pourra donc y établir de chrono homologué. Mais, au fond, peu importe pour Roger Bambuck : loin du « sport-spectacle », « l’activité physique », qu’il loue si souvent, se moque bien des records.